RENOIR, dans le silence, l’écho d’une enfance en deuil
Avec RENOIR, son second long-métrage, Chie Hayakawa poursuit une œuvre intime, pudique et déchirante, où les émotions enfouies affleurent par les silences. Un film où l’image, le non-dit et l’imaginaire deviennent les derniers refuges face à la perte, la solitude et l’indicible douleur de grandir.
En 1987, dans un Japon en pleine euphorie économique, une fillette rend visite à son père hospitalisé. Elle a 11 ans, il va mourir. Le monde continue de tourner, mais pour Fuki, l’héroïne de RENOIR, le temps semble s’arrêter. Le deuxième film de Chie Hayakawa, après Plan 75, est une œuvre fragile et lumineuse, où chaque plan semble suspendu dans l’attente d’un geste tendre, d’un mot qui ne vient pas, ou d’un regard qui dirait enfin : « Je te comprends ».
Fiction nourrie d’un vécu très personnel, RENOIR explore ce moment de bascule où l’enfance s’effondre, sans crier gare, face à la violence d’un deuil à venir. Hayakawa puise dans sa propre expérience : celle d’une jeune fille confrontée à la lente agonie de son père, rongée par une culpabilité muette, et par cette incapacité d’être à la « hauteur » du chagrin des autres. Une question la hante, centrale dans le film : peut-on vraiment comprendre la douleur d’autrui ?
Le poids du silence
Ici, les silences parlent. Ils hurlent même. Dans les couloirs d’un hôpital impersonnel, dans les non-dits d’une famille en ruine émotionnelle, dans les gestes maladroits d’une mère dépassée. RENOIR est un film lent, contemplatif, où la mise en scène épouse la temporalité floue du deuil, celle de l’enfance aussi, entre rêverie et incompréhension. La caméra de Hideho Urata capte avec une délicatesse infinie les micro-souffrances, les regards fuyants, les silences trop lourds pour être dits.
Et pourtant, le film n’est jamais appuyé, jamais larmoyant. C’est peut-être sa plus grande force : refuser le pathos, préférer la subtilité. Hayakawa filme la solitude comme une matière vivante, étouffante, mais jamais totalement close. Même au cœur du désarroi, un tableau, une lumière, une caresse, laissent entrevoir la possibilité d’un apaisement.
L’imaginaire comme refuge
Comme une échappatoire, Fuki s’abandonne à son monde intérieur. Elle fantasme, s’invente des dialogues avec son père, observe un tableau de Renoir avec fascination. Le titre du film fait référence à La petite Irène, reproduction que son propre père lui avait offerte dans son enfance. Ce détail autobiographique devient ici le symbole d’un lien ténu mais indestructible entre père et fille, entre passé et présent, entre art et consolation.
Dans une société japonaise alors tournée vers une modernité clinquante Hayakawa choisit la voie inverse : revenir à l’intime, à l’invisible, à la fracture silencieuse du noyau familial. Ce Japon de 1987, qu’elle dépeint avec une douceur mélancolique, incarne un moment de bascule. Les familles deviennent plus nucléaires, plus closes, et parfois, plus hostiles. RENOIR est aussi un film sur ces failles : celles qui s’ouvrent entre les membres d’une même famille, incapables de se consoler mutuellement.
Un drame discret, mais universel
Avec RENOIR, Hayakawa poursuit un cinéma du trouble, à hauteur d’humain, ancré dans une réalité sensorielle et psychologique. Le film résonne particulièrement avec ceux qui, comme la réalisatrice, ont vécu une solitude intérieure en famille. Ceux qui, enfants, ont porté des émotions trop grandes pour eux.
Devenue mère, Hayakawa revisite ce passé avec une bienveillance nouvelle, et offre un regard apaisé, presque réconcilié, sur l’enfant qu’elle était. Ce chemin vers l’empathie irrigue le film tout entier. Car RENOIR est une élégie du chagrin sur le désir profond de se connecter aux autres, malgré les maladresses, les silences, les blessures.
RENOIR est un film qui demande patience, disponibilité, et surtout, une certaine ouverture à l’introspection. Il ne propose pas de réponses, mais laisse affleurer une émotion pure, dénuée de grandiloquence. Un geste de cinéma discret, mais précieux, comme un murmure dans le tumulte de nos vies.
Le film sort en salle le 10 septembre
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