Kontinental ’25 : une culpabilité qui possède l’esprit
Dans Kontinental ’25, Radu Jude explore une émotion aussi intime que corrosive : la culpabilité. Tourné en quelques jours avec un iPhone, le film semble vouloir rappeler que l’essentiel n’est pas dans la forme, mais dans la fissure morale qu’il ouvre — celle d’un être humain qui, dans l’exercice banal de son travail, se retrouve confronté à la mort d’un autre.
Un acte, une conséquence
Orsolya est huissière de justice à Cluj. Sa tâche du jour : expulser un sans-abri vivant dans un local technique d’un immeuble bientôt transformé en hôtel de luxe. L’homme se suicide peu après l’intervention. Orsolya n’a rien fait d’illégal, rien de violent. Elle a simplement « fait son travail ».
Et pourtant, un doute s’installe. Puis un poids. Puis une obsession. Elle se sent responsable. Pas juridiquement, mais moralement.
La culpabilité sans faute ?
C’est tout l’enjeu du film : peut-on se sentir coupable sans avoir « commis de faute » ? Est-on complice d’un système injuste dès lors qu’on y participe — même passivement ? Et que faire d’un remords que personne ne veut reconnaître comme légitime ?
Orsolya cherche des réponses : auprès de sa mère, d’un prêtre, d’un ami intellectuel, d’un ex. Mais tous — chacun à leur manière — minimisent, relativisent ou détournent la question. On lui parle de contexte, d’économie, de fatalité. Personne ne partage sa douleur. Elle reste seule avec sa culpabilité.
Un film d’après les actes
Radu Jude filme l’après. L’acte n’est qu’un point de départ. Ce qui l’intéresse, c’est la trace invisible qu’il laisse : le déséquilibre intérieur, le doute qui ronge, la mémoire qui insiste. Il n’y a pas de pathos. Pas de cris. Juste une suite de dialogues, de rencontres, de monologues intérieurs — comme un procès sans juge, où la condamnation vient de l’intérieur.
La mise en scène minimaliste, parfois presque documentaire, renforce ce sentiment : la culpabilité est nue, sans mise en scène, sans échappatoire.
Une culpabilité sociale
Ce n’est pas une culpabilité purement psychologique. Elle est systémique. Jude évoque les tensions entre justice et injustice sociale, entre confort personnel et exclusion, entre décisions administratives et conséquences humaines. La transformation d’un espace pour touristes entraîne l’expulsion d’un homme. Une procédure déclenche une tragédie. Tout est lié.
Ce que Jude montre, c’est le coût moral du monde dans lequel nous vivons. Orsolya, en tant qu’individu, hérite de cette dette collective.
L’ironie de l’impuissance
Il y a dans le film une ironie douce-amère : celle d’un personnage qui veut « réparer » ce qui ne peut plus l’être. Sa quête devient presque absurde. Mais cette absurdité est justement ce qui rend la culpabilité si douloureuse : elle ne se résout pas. Elle reste.
Le film ne donne pas de réponse. Il ne juge pas Orsolya, ni ne l’absout. Il regarde simplement ce que la culpabilité fait à une personne. Et c’est là que le film trouve sa force : il rappelle que, même dans un monde où tout est rationalisé, le poids du remords reste profondément humain.
Kontinental ’25 est un film sur l’impossibilité d’oublier. Sur cette tension entre responsabilité individuelle et mécanique collective. Sur une femme qui se découvre coupable, non pas parce que le monde le lui dit, mais parce que sa conscience le refuse. Son parcours poignant nous interroge sur la vie.
Titre : KONTINENTAL ’25
Réalisatrice : RADU JUDE
Pays : Roumanie
Langues : Roumain, Hongrois, Allemand
Durée : 109 minutes
AU CINEMA LE 24 SEPTEMBRE 2025
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